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Cabine n°12, Bains des Pâquis 2021

Du 1er décembre 2021 au 15 janvier 2022

Dans le cadre du Calendrier de l'Avent

www.bains-des-paquis.ch

DISCOURS DU VERNISSAGE > 12 décembre 2021pour l'ouverture de la cabine

Ce que je dis 3x est vrai

Bonsoir & bienvenue à tous!

Je voulais remercier les Bains des Pâquis de m’avoir accueillie si chaleureusement et à Eric Vanoncini (voisin de cabine!) de m’avoir invité à participer à ce calendrier de l’Avent, c’est si rare d’être invité comme ça quelque part de nos jours, par le hasard des rencontres.
Un grand merci également à mon cher mari Sébastian Roth d’avoir ɶuvré une fois de plus en coulisse pour que je puisse réaliser ce projet.

Alors, des explications?
Le thème qui rassemble toutes ces cabines est: Mascarade.
Pour ma part, comme je suis incapable de faire quelque chose de simple, j'ai décidé de reprendre une ancienne source d’inspiration qui est La chasse au Snark de Lewis Caroll, sous-titré Une agonie en huit crises. Pour ceux qui ne connaissent pas ce texte, à vrai dire, un long poème en vers, voici ce qu’il en est:

Un capitaine décide de lever un équipage pour partir à la chasse au Snark, une créature indescriptible. Ce capitaine n’a aucune expérience de la mer en réalité, sa seule qualité est d’agiter sa cloche qui lui confère toute autorité par ce seul fait: on le nomme donc L’homme-à-la-Cloche.
Il montre à l’équipage en guise de préambule à la chasse une carte du territoire qu’ils parcourront: une carte vide de toute terre, une carte-océan pure, vierge de toute signe. Ce que tous accueillent avec un véritable soulagement.
C’est dans l’absurdité croissante que le lecteur rencontre chaque membre de l’équipage, des personnages attachants et inquiétants à la fois.

Au départ je pensais lire la deuxième crise de ce long poème: Le discours de l’Homme-à-la-Cloche, ensuite j’ai voulu l’écrire au pochoir in-extenso sur les murs de la cabine: je me proposais même de fabriquer une nouvelle traduction, moi qui ne sait pas dire plus de deux phrases en anglais sans bafouiller, j’ai évidemment renoncé.
Je n’ai gardé qu’un minuscule fragment tiré de la Première crise en guise de titre: Ce que je dis 3x est vrai, et encore, j’ai saboté la phrase originale qui introduisait une adresse au lecteur-équipage: (…) ce qui je vous dis trois fois est vrai.

Le lien avec le thème de ce manifestation est là: une méditation muette sur le pouvoir de la langue et du discours. Si l’homme à la Cloche exhorte son équipage pour maintenir une chasse absurde dont l’objet est flou et inaccessible, il n’y arrive uniquement qu’en utilisant sa langue, par la séduction que produit son discours. Les chapitres - les crises- sont rythmées par des ritournelles suaves où les protagonistes cherchent à appâter le Snark avec toutes sortes de choses, savon, actions de chemin de fer, fourchettes, sourires et espoir. Une vraie mascarade à proprement parler.
Relire ce texte m’a fait énormément de bien après avoir passé ces vingt derniers mois à voir s’agiter les nombreux de protagonistes de notre temps - tout aussi absurdes que le Boulanger, le Banquier ou le Castor - prompts à charmer les foules avec des mots, des titres, des expertises qui ne tiennent parfois qu’avec de grossiers ressorts carnavalesques.

Mais la Mascarade est surtout ce qu’on est capable de s’inventer en tant qu’artiste pour partir à la chasse de son oeuvre. Rien de rationnel, un petit moteur d’appoint pour faire tourner en boucle l’absolue determination à attraper l’impossible: cet état d’exception, de grâce, de transcendance qui révèlerait les sources secrètes et le plaisir l’existence!
Finalement on ne maîtrise pas les « tenants et les aboutissants » de nos actions, il faut bien l’avouer humblement, et si la pièce que vous avez sous les yeux ce soir vous semble incompréhensible, sachez que je ne vous en voudrais pas, au contraire, moi-même je me demande comment j’ai pu fabriquer ça.
Je sais juste qu’elle est juste et hypocritement sincère. Comme disait Godard, pour faire une petite citation d’intello: une image juste, juste une image… en triple exemplaire, reflétée par un miroir et tout et tout.

La fin de l’histoire?
Le résultat des courses est pour moi le même que celui du maître du Nonsense dans son dernier poème: si proche de l’attraper le Snark s’évanouit sans laisser de trace, il faudra recommencer.
Reste le récit d’une traque épique, un objet incomplet dont on ne sait pas quoi faire à part lui lancer en guise d’adieu quelques onomatopées amusées et précieusement farceuses.

Merci beaucoup d’être venus ce soir et partageons un verre d’amitié.
Santé!