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FAITES ATTENTION À VOS PIEDS

Quand vous avez votre pied au bout d’un long hangar, quelle histoire de le ramener ! Quelle longue histoire !
Trop tard pour se demander comment il a pu, s’allongeant sans cesse dans l’espace encombré d’outils, s’étendre jusque-là, jusqu’à près d’une trentaine de mètres de votre poitrine agitée, de votre tête qui s’affole sous une responsabilité soudainement accrue, qui suppute les conséquences mauvaises, les réparables et les irréparables...
Vite, il faut les ramener, si la chose est encore possible, avant l’heure d’entrée (mais elle vient justement de sonner) avant la rentrée des ouvriers, mécontents, ouvrant la porte brutalement, butant dessus,
y laissant tomber en jurant leurs outils pesants et c’est la fracture assurée. Sur une distance pareille, un os, vous pensez, comme il va résister, c’est la pagaille. Ce n’est plus une fracture, c’est dix et plus. Ils s’énervent de cet obstacle qu’ils trouvent partout d’une extrémité à l’autre de l’atelier, ils s’énervent et vous feriez comme eux si vous n’étiez à l’autre bout de cette misérable affaire.
Oh ! pièges de la nature, qui nous laissent aller pour nous retrouver bientôt...

Henri Michaux, La vie dans les plis